Côte à côte

ENTRETIEN AVEC CÉCILE DUMOUTIER, LUNA GRANADA & ÈVE GENTILHOMME


Après La nuit tombe, Maman rêve était-ce une évidence pour vous de travailler ensemble sur un deuxième album ?  

Ève : Le sujet est venu très vite, dès qu’on a fini le premier, il me semble.

Luna : Oui, c’était une évidence ! Après La nuit tombe, Maman rêve, on avait très envie de continuer à travailler toutes les trois sur d’autres albums. Il y avait eu une vraie osmose dans la création du premier. C’était aussi dû au contexte très particulier : nous l’avions conçu à distance, pendant le confinement de mars 2020 ! 

Cécile : Le premier album a été une si belle aventure que lorsque Luna s’est mise à parler d’une collection, ça ouvrait une plus grande porte encore à notre imagination... C’était très enthousiasmant de nous plonger dans une « suite », une sorte de saga.

Pour Côte à côte, vous avez fait le choix de raconter l’histoire d’une maman et d’une petite fille, et non plus celle d’une maman et de son garçon, comme dans l’album précédent. Pourquoi ce changement ? 

C : La nuit tombe, maman rêve était directement inspiré d’un spectacle qui mettait en scène une maman solo et son petit garçon. L’idée de cette collection est de montrer plusieurs visages de familles monoparentales, à travers les diverses problématiques qu’elles rencontrent au quotidien : la nuit d’une maman solo, la prise d’autonomie d’une enfant… et ce en continuant à regarder nos propres enfants grandir.

L : Cécile est maman d’un garçon et moi d’une fille, on s’est donc dit que c’était bien de changer pour celui-ci !

È : Et puis, on avait déjà représenté un petit garçon, donc il était logique pour nous de représenter une fille cette fois-ci !

À la lecture de Côte à côte, on se rend bien compte qu'il y a deux niveaux de lecture : un pour les enfants, un pour les parents. Vous semble-t-il essentiel de toucher à la fois adultes et enfants ? 

L : J’aime les histoires pour enfants qui parlent aussi aux adultes. C’est essentiel en littérature jeunesse où l’objet livre passe aussi bien dans les mains des enfants que des parents. L’interprétation ouverte me paraît aussi importante : on peut remarquer des détails différents à chaque lecture, qui apportent des indices pour donner du sens à l’histoire.

È : Oui, au final ce sont les parents et/ou les adultes qui achètent les albums. Ce qui est intéressant c’est aussi le dialogue que va ouvrir le livre entre l’enfant et l’adulte qui lui lira. Et puis, de mon côté, j’aime beaucoup le fait qu’il y ait plusieurs lectures de l’histoire, laisser libre court à l’interprétation du lecteur en fonction de son ressenti, son vécu.

C : En ce qui me concerne, ce n’est pas volontaire car lorsque nous commençons une histoire avec Luna, cela se fait de manière plutôt naturelle. Après, je dirais que dans un foyer monoparental à deux, on vit beaucoup en face-à-face. 

Côte à côte raconte avec délicatesse combien il est normal et nécessaire de se détacher peu à peu de ce « miroir »… et ça peut donner tout autant le vertige à l’adulte de réaliser que son enfant rêve d’autonomie.

 

L’histoire se déroule dans un appartement jusqu’au moment où les personnages décident d’en sortir pour faire la fête sur le toit d’une tour. Qu’est-ce que représente cette sortie du cocon familial ? 

È : Plusieurs choses : la place au rêve dans le quotidien, l’enfance où tout est possible, le fait de couper avec la réalité, aussi peut-être de couper le cordon familial. 

L : Dans Côte à côte, on aborde la question de la quête d’autonomie d’une petite fille qui grandit. Le monde extérieur est symbolisé par cette fête foraine en haut d’une tour. Elle a envie de découvrir le monde et sa maman l’accompagne dans cette découverte, tout en la laissant libre de voler de ses propres ailes. On a cette image du cocon familial sécurisant, nécessaire pour prendre son envol. On avait déjà ce jeu entre intérieur et extérieur dans La nuit tombe, Maman rêve avec le pouvoir du rêve et de l’imagination qui nous fait voyager hors de l’espace où on se trouve.

C : C’est un grand moment de partage entre elles deux, à la hauteur de leur fantaisie, de leur poésie et du frisson de ce grand plongeon. C’est un espace de tous les possibles où le rêve et le réel s’entremêlent. Cette prise de hauteur provoquée par la tour répondait bien à une citation de John Burroughs qui m’accompagne au quotidien : « Saute, et le filet apparaîtra ».

L’espace urbain, et plus particulièrement Saint-Denis, joue un rôle important dans vos histoires. Dans Côte à côte, on remarque par la fenêtre de nombreux chantiers. Est-ce une référence aux mutations actuelles de la ville ? Pourquoi les intégrer dans un album jeunesse ? 

È : Le parallèle entre la maman qui prend le temps de se reconstruire dans sa chambre et les chantiers du dehors était intéressant.

L : Cécile et moi habitons à Saint-Denis, une ville en pleine mutation, avec des quartiers, comme Pleyel, qui sont en travaux depuis plusieurs années, avec l’arrivée des JOP et le Grand Paris. On avait envie de représenter ce paysage urbain en chantier tout autour de l’appartement des personnages. C’est aussi, en miroir avec la petite fille qui grandit, le symbole de la construction, du changement, de la transformation.  

C : C’est vrai que ces derniers temps, Saint-Denis vit beaucoup de travaux qui la transforment énormément. Cette tour, c’est clairement la Tour Pleyel. La durée de sa longue reconstruction nous a poussées à projeter ici son devenir imaginaire.

 

Les illustrations sont vives et colorées, même festives. On est loin du quotidien terne et monotone qui est souvent utilisé pour décrire les banlieues et les foyers. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? 

È : Les banlieues et les foyers sont très festifs et colorés, malgré l’image qu’on essaie à tort de leur donner.

 C : Je n’ai jamais ressenti que la vie en banlieue était terne, bien au contraire. Je trouve que notre banlieue est bien vivante, et nos foyers plutôt de jolis nids. C’est vraiment une question de regard. Dans La nuit tombe, Maman rêve, on était dans la douceur de la nuit, ici dans la tendresse du jour… c’est une fine palette que Ève a su composer.

L : On adore l’univers graphique d’Ève, qui est très coloré et joyeux. Elle arrive à traduire notre envie de montrer que la vie est belle, malgré ses difficultés. 

Avec La nuit tombe, Maman rêve et Côte à côte, vous abordez des questions de société actuelles : la monoparentalité, la charge mentale, la conciliation d’une vie de femme et de maman, mais aussi la relation mère-enfant avec l’importance de l’amour filial. Peut-on qualifier vos albums de « féministes » ? 

C : Je dirais que s’ils le sont c’est parce qu’ils soulèvent la question du quotidien de mamans solos, des figures féminines dont on parle peu, et encore moins par ce prisme. En cela, ces albums sont une manière de les visibiliser, et de permettre ainsi à des lecteurs.trices l’identification à cette cellule familiale.

L : Il y a une coloration féministe dans nos albums, mais sans militantisme. Ce sont plutôt des albums féminins, très inspirés de nos vies de mamans et de femmes. 

È : Oui, ils le sont par tous ces sujets abordés, aussi du fait que nous sommes un trio de femmes. Ce sont des sujets que l’on veut mettre en lumière. 

 

Cécile, Luna, cette envie d’écrire des albums sur les relations mère/enfant est-elle due à votre expérience de maman ? Influence-t-elle votre écriture ? 

L : Oui, ces deux albums sont très imprégnés de notre vécu. 

C : C’est sûr qu’on écrit toujours sur soi, quoiqu’il arrive. Avec Luna, nous échangeons souvent avec tendresse sur notre expérience de maman. C’est sans doute aussi ce qui nous pousse à écrire sur ce thème. Et puis, j’aime l’idée de laisser une trace à mon fils… une trace qui prend d’autant plus de sens ici : ces albums sont la réalisation d’un grand rêve d’écriture. Merci La tête ailleurs !

 

Avez-vous d’autres idées de livres pour cette nouvelle collection ? 

C : Ça fourmille toujours d’idées… mais je crois qu’on a trouvé la direction du prochain album !

L : Oui, on est déjà en train de penser au prochain !

 

Propos recueillis par Eva Estephe